"J'en veux pas"
Cette phrase a toujours été pour moi le summum de la douleur concentrée. J'entends par là que j'éprouve une compassion sans nom envers la cible de ces trois syllabes, quelle qu'elle soit. Je me refuse d'ailleurs à prononcer ces mots. Sitôt passé le pallier de ma bouche, je les regrette déjà, envahie que je suis de cette profonde commisération en vertu de laquelle je recherche aussitôt une paraphrase: "Non, enfin, c'est pas exactement ce que je veux dire...".
Dès l'enfance, ma grand-mère faisait honteusement jouer ma corde sensible pour que je termine mon assiette: "Regarde les pauvres petits morceaux de viande, comme ils pleurent que
tu n'en veuilles pas!"
. Et moi, prise d'une incommensurable pitié pour les malheureux bouts de bidoche rejetés, j'avalais les restes pour qu'ils ne soient plus seuls, pour qu'ils arrêtent de me regarder avec de grands yeux larmoyants.
"J'en veux pas" ou le rejet condensé.
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Nocturnal Azure @
11:56 AM
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