Un tramway nommé 52
Ce sera bientôt la dernière fois que je prendrai le 52, ce tram par lequel transhume une humanité que n'aurait pas renié Emile (Zola). Chaque matin, il se fait désirer. Et chaque matin, il engouffre des grappes d'humains plus désoeuvrés les uns que les autres dans son estomac de tôle et de verre. A force d'en descendre et d'y monter à heures fixes, j'avais fini par m'habituer à sa clientèle.
Tout d'abord, il y a le rockeur endormi. Géant barbu long de cheveux, exactement rock 'n roll. On le verrait plus sur une Harley Davidson reluisante que dans un tram jaune et bleu. Quand il trouve une place à sa taille, il s'endort comme un bébé. Selon les jours, il arbore une veste en cuir ou une chemise de bûcheron. Mais il a toujours des écouteurs vissés aux oreilles (j'ai entendu des notes (enfin, des riffs plutôt) s'en échapper le jour où je me suis assise à côté de lui. Ca changeait un peu de la musique d'ambiance du tram: des sonorités nord-africaines qui trouvent toujours le moyen de percer au travers du casque du généreux philantrope qui partage sa musique avec le reste du wagon).
Ensuite, il y a la jeune prof de flamand dynamique. Toute blonde, toute blanche aussi, elle semble tout droit sortie de l'oeuf universitaire. Dynamique car elle porte souvent des vêtements amples et le sac-à-dos de ses tendres années. Elle corrige les copies de ses élèves en grignotant sur le pouce un Vitalinea.
Il y a aussi l'obèse au regard morne. A elle seule, elle vaut deux rockeurs. Ses yeux ne brillent plus depuis longtemps, mais ses boucles d'oreille en or témoignent encore de ce qu'elle était, peut-être, il y a une éternité. Maintenant, elle se contente de hanter pesamment le tram 52 en jogging.
Je pourrais aussi parler du fan de BD qui dévore à même le quai une nouvelle BD par jour, ou bien du grand noir à la jambe de bois (démarche boîteuse, chapeau en feutre, large manteau noir, très impressionnant), ou encore de cette monumentale allemande sur laquelle flotte un manteau horriblement fushia (un énorme tank fushia, voilà ce à quoi j'ai pensé quand je l'ai vue).
Ou le paysage. Cette Bruxelles des bas quartiers, les maisons aux toits éclatés qui semblent s'ouvrir au ciel, les murs tatoués de graffitis, un bananier sur une terrasse, les appels d'un trottoir à l'autre, d'une fenêtre à l'autre, d'un tram à l'autre , le carrelage jaunâtre de la Gare du Midi qui n'en finit pas de défiler, et le tram 52 qui traverse le tout.
# posted by
Nocturnal Azure @
4:14 PM
|